Les désaccords sur la valeur des titres sociaux sont monnaie courante dans le monde des affaires. L’article 1843-4 du Code civil prévoit que si un terrain d’entente ne peut être trouvé par les parties, un expert est désigné par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent. Le juge est-il pour autant tenu d’appliquer strictement l’évaluation retenue par l’expert ? C’est à cette question que répond l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 janvier 2024.
Dans cette affaire, les associés d’une société cédaient l’intégralité de leurs parts à d’autres sociétés. L’acte de cession comprenait à la fois un prix de base et un ajustement de prix, calculé après l’arrêté des comptes de l’exercice. Le même acte prévoyait aussi qu’en cas de désaccord sur le prix, un expert serait désigné par le président du tribunal de commerce.
Certains associés ont notifié une demande de complément de prix aux cessionnaires, mais les parties n’étaient pas d’accord sur le prix. Un expert a été désigné et les cédants ont assigné les sociétés cessionnaires en paiement d’un complément de prix.
Les cessionnaires font grief à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes le 22 mars 2022 de les avoir condamnés à payer le complément de prix. Ils avancent qu’il appartient au seul expert de déterminer le prix, la juridiction ne peut le faire elle-même, et que si l’expert propose plusieurs options, le juge doit retenir l’évaluation préconisée. Ils critiquent la solution retenue car ils estiment que le juge d’appel n’a pas retenu l’évaluation conseillée par l’expert mais une autre, moins favorable.
La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle les règles en la matière : l’article 1843-4, II, du Code civil précise que l’expert est tenu d’appliquer les règles et modalités de détermination de la valeur des droits sociaux prévues par toute convention liant les parties. Le juge a quant à lui pour rôle d’interpréter, si besoin, la commune intention des parties.
Il est en revanche possible pour l’expert de retenir plusieurs évaluations correspondant aux différentes interprétations de la convention qui sont revendiquées par les parties. Le juge remplit son rôle en appliquant, après avoir recherché et déterminé la commune intention des parties, l’évaluation qui s’impose.
La Cour de cassation valide donc la décision de la Cour d’appel, après avoir estimé qu’elle avait déterminé la commune intention des parties exprimée au sein de la convention, et avait fait application de l’une des évaluations données par l’expert, celui-ci n’ayant par ailleurs formulé aucune préférence ni préconisation particulière.
Pour résumer : le juge n’est pas libre d’évaluer lui-même la valeur des titres sociaux, il évalue cependant la commune intention des parties, et applique l’estimation donnée par l’expert qui correspond le mieux à cette commune intention.
Source : Cass. com., 17 janvier 2024, n°22-15.897