La gestion du conflit passe-t-elle résolument par une procédure juridique ? Souvent décrits comme experts de l’amiable, les notaires se tournent de plus en plus vers la médiation, un outil dont ils se servent au quotidien, parfois sans s’en rendre compte. Un retour aux fondamentaux essentiel dans les situations de crise et utile pour résoudre certains dossiers. Me Grimond, notaire à Lille et porte-parole du bureau du Conseil Supérieur du Notariat, décrit la médiation notariale, dont le développement figure parmi ses missions. De son côté, Me Margarot, notaire à Paris, a choisi de suivre la formation de médiatrice.
Me Edouard Grimond : Je suis notaire et, en tant que porte-parole du bureau du Conseil Supérieur du Notariat, j’ai à la charge plusieurs portefeuilles, dont la médiation. Ma mission consiste à veiller à son bon développement auprès des instances et des confrères. Avec notre Présidente, Me Sophie Sabot-Barcet, nous sommes les interlocuteurs des autorités de tutelles, principalement le ministère de la Justice. J’ai aussi été nommé ambassadeur de l’amiable par le garde des Sceaux, avec d’autres professionnels du droit, pour plaider la cause de la médiation auprès des différentes juridictions de France.
Me Malvina Margarot : En tant que notaire, j’ai récemment suivi la formation pour devenir médiatrice. Mon père était avocat-médiateur, la médiation était donc déjà présente dans mon enfance. Aujourd’hui, la médiation est le petit plus qui va permettre au notaire d’avoir une écoute plus approfondie.
Me M. : La médiation notariale ne se limite pas au droit de la famille : elle se développe en droit immobilier pour les conflits entre acheteurs et vendeurs, en droit des sociétés ou en droit du travail dans les relations employeurs/employés. La médiation administrative adresse aussi les conflits entre l’État et les administrés.
Me G. : Dans le cadre de la politique de déjudiciarisation des litiges souhaitée par le garde des Sceaux depuis janvier 2023, il est essentiel que le notaire soit prescripteur de la médiation auprès de ses clients. Il doit donc être formé. Notre formation initiale intègre désormais un volet médiation, mais il faudrait aller plus loin et rendre obligatoire une formation plus poussée pour tous les jeunes confrères. Un cycle annuel de formation est proposé par la direction de la médiation au CSN. Pour les notaires, c’est une formation de 100 heures, décomposée en deux socles.
Me M. : Il faut compter environ six mois par socle. Le premier est consacré aux fondamentaux de la médiation. Je le recommande à tous les confrères, car il permet de nous approprier ce système de compréhension. Le second socle permet de passer à la technique pratique de la médiation. Elle a lieu en présentiel, à l’école du Notariat à Paris.
Me G. : Apprendre la médiation, c’est apprendre à écouter et à observer les autres. Savoir reformuler ce que les médiés expliquent en rendez-vous. Apprendre à se positionner, à observer les gens, les tics, les sourires, les yeux, etc. C’est une ouverture d’esprit.
"Donner la possibilité aux gens de se parler lorsque les liens sont coupés"
Me G. : Il n’y a qu’une seule médiation avec, comme principe central, permettre au justiciable de devenir acteur du différend qu’il a avec une autre partie. C’est donner la possibilité aux gens de se parler lorsque les liens sont coupés, afin qu’ils puissent trouver une solution ensemble.
Me M. : L’amiable est notre cœur de métier. Notre objectif est que les parties arrivent par elles-mêmes à un accord, même dans le cadre d’une
médiation judiciaire.
Me G. : Nous écoutons quotidiennement nos clients, nous les assistons sur les différentes problématiques qu’ils nous soumettent. Nous avons, peut-être, ce petit plus qui nous rend capables d’appréhender la médiation plus facilement. Cependant, ce n’est pas parce que nous sommes notaires que nous sommes forcément médiateurs. Cela nécessite une formation, c’est un point sur lequel le CSN insiste.
Me G. : Nous avons des clients qui sont de plus en plus vindicatifs et parfois procéduriers : la médiation va permettre d’apaiser la situation en les laissant s’expliquer. Elle peut faire avancer et clôturer les dossiers parfois compliqués, comme les indivisions. Nous réapprenons à écouter nos clients, nos associés et collaborateurs. Le fond de notre métier, c’est d’avoir de l’empathie, être à l’écoute. Avec la baisse de l’activité immobilière, les notaires doivent réfléchir à diversifier leurs services, renforcer le droit de la famille et se réapproprier certains domaines que nous avons abandonnés, sans doute par facilité. Le CSN avait eu cette phrase qui indiquait aux confrères, et à la population de manière générale, de « penser médiation ».
Me M. : Cette formation a changé ma vie professionnelle et ma façon d’aborder les clients. On découvre un autre mode de relation à l’autre : on quitte les schémas anciens où l’on cherche à éviter les conflits, pour se positionner en tant que spécialiste dans leur règlement.
Me G. : Aujourd’hui, nous comptons 305 médiateurs notaires et 25 centres de médiations, 24 en territoire hexagonal et un sur l’île de la Réunion. Plusieurs freins au développement de la médiation demeurent. Son modèle économique doit être repensé pour revenir rentable, car les frais sont souvent forfaitisés ou à des taux faibles. Aussi, nos règles déontologiques ne nous permettent pas d’assurer la médiation pour nos propres clients, nous devons transmettre le dossier à un confrère médiateur, avant de pouvoir le finaliser.